Appâter la ressource au lieu de nourrir notre monde?
Monsieur le Premier Ministre du Canada Justin Trudeau,
Madame la Ministre Diane Lebouthillier.
Nous sommes un groupe de pêcheurs pélagiques RPPPSG, restaurateurs, transformateurs et consommateurs souhaitant que la pérennité des ressources marines soit assurée tout en offrant des aliments de qualité à la population.
Après deux années de moratoire, vous avez récemment annoncé la réouverture partielle de la pêche au maquereau au Québec et dans le Canada atlantique, mais seulement pour la pêche à l’appât pour les homardiers et les crabiers. La pêche commerciale demeurera toutefois encore fermée pour cette année. La pêche au crabe tire déjà à sa fin. Vous soulignez que, les stocks sont en meilleure santé pour permettre cette réouverture partielle destinée à l’appât, sans compromettre la ressource. Par ailleurs, vous soutenez qu’on a besoin d’avoir plus de données scientifiques et le fait d’avoir une pêche à l’appât va nous permettre d’avoir plus de données ».
Nous sommes perplexes et très préoccupés face à cette nouvelle annonce. Quelles ont été les assises utilisées pour appuyer cette décision? Comment peut-on permettre la pêche au maquereau seulement pour les appâts, qui seront essentiellement utilisés par les homardiers, au détriment de la pêche commerciale destinée aux communautés côtières? Le maquereau est un poisson d’une grande qualité nutritionnelle, riche en oméga-3 et en vitamines, et peu coûteux. Il est au cœur de la culture et de la subsistance de plusieurs familles aux Îles-de-la-Madeleine, en Gaspésie, au Bas-St-Laurent, sur la Côte nord et dans les Maritimes qui doivent faire face à des hausses majeures des denrées alimentaires. Pourquoi aucune mesure n’a été mise en place pour prioriser l’alimentation dans l’Est du pays? Pourquoi avoir exclus les pêcheurs touchés par des moratoires.
De plus, nous nous sentons extrêmement interpellés par rapport aux modalités de cette pêche.
1.) Ouverture de la pêche avant la mi-juillet:
Cette période correspond à la période de déplacement du maquereau avant la ponte. Pour assurer la pérennité de cette ressource, les périodes de pêches devraient plutôt se faire à partir de la mi-juillet jusqu’à l’automne.
2.) Les filets maillants :
Les conditions de pêche appliquées ne sont pas encore connues. Toutefois, historiquement au printemps, la pêche au maquereau se fait aux filets maillants.
Ce type d’engin de pêche n’est pas approprié, et plus spécifiquement dans un contexte de moratoire, pour un poisson aussi fragile que le maquereau. Il entraîne énormément de perte de gros géniteurs, qui coulent à fond et qui ne sont pas comptabilisables.
Nous croyons que la pêche à la ligne/à l’hameçon assure des prises de qualité tant pour l’alimentation que pour l’appât et permet de toutes les comptabiliser. En respectant la période de ponte et l’absence de rejet en mer, elle contribue à son rétablissement.
3.) Le rejet en mer :
Le permis de pêche oblige la remise à l’eau des maquereaux en deçà de 26,8 cm. Les maquereaux pris dans les filets maillants sont asphyxiés, donc il n’y pas de survie. À la pêche à la ligne de main, la plupart des pêcheurs constatent que la majorité des maquereaux remis à l’eau ne survivent pas, étant en autre, soit blessés ou soit la proie idéale des oiseaux. Le rejet en mer n’est donc pas une alternative de protection pour cette espèce.
4.) Quota et données scientifiques.
L’ensemble des prises devrait être conservée selon les quotas alloués.
Par ailleurs, la collecte de données sur l’ensemble des prises pourra permettre aux scientifiques d’avoir un portrait plus réaliste des stocks. Pour mettre en place une meilleure gestion des pêches, il ne faut pas se limiter à la biomasse mais aussi considérer les spécificités de la ressource, les facteurs d’influence ainsi que les interrelations dans l’écosystème.
Dans le contexte actuel, il va y avoir une reprise de la pêche au sébaste. Toutefois, le marché n’est pas encore vraiment prêt pour cette espèce. Pourquoi ne pas avoir alloué une pêche hâtive, du moins, une partie du quota, pour l’appât au homard ou au crabe?
Ces derniers jours, malgré que la biomasse semble être à son sommet, madame la ministre Le Bouthillier ne pouvait pas confirmer l’ouverture de la pêche au sébaste, pour le 15 juin. Un motif énoncé était qu’il fallait protéger la période de ponte. Considérant que la pêche au maquereau est sous moratoire, pourquoi la protection de reproduction du maquereau n’a-t-elle pas été considérée?
En privilégiant la pêche d’appâts à l’alimentation des communautés côtières, quel message envoyons-nous à la population? Le maquereau n’est bon que pour l’appât et n’a aucun intérêt pour la consommation humaine? La priorité est-elle de fournir des appâts, à tout prix, à une industrie florissante ou bien contribuer à nourrir la population toujours en respectant des mesures de précaution?
L’INSPQ a précisé que : Les données probantes sont claires : la qualité de l’alimentation a un impact sur la santé. Les choix alimentaires des consommateurs et consommatrices sont influencés par des facteurs individuels…, mais également par des déterminants collectifs ou environnementaux. Pensons notamment à l’environnement bâti, qui influence la disponibilité des aliments et leur accessibilité physique, à l’environnement économique, c’est-à-dire le prix des aliments qui a un impact sur le choix àl'achat, ou encore à l’environnement socioculturel, tel que la publicité [ ou suivant votre politique, l’accessibilité] et les normes sociales liées à l’alimentation, qui font la promotion de certains aliments au détriment de certains autres. »1
Les régions côtières ont des ressources à portée de main mais n’y ont pas ou peu accès pour se nourrir. La pêche récréative au maquereau est une option, mais l’ensemble de la population n’a pas la possibilité ou la mobilité d’aller sur un quai ou sur une petite embarcation pour pêcher. De plus, pour celles et ceux qui ont accès à la pêche récréative, tout comme la pêche à l’appât, il leur est interdit d’en donner, d’en vendre ou d’en troquer à d’autres personnes dans leur milieu. Donc, comment démocratiser l’accès à ces ressources autrement que les rendre disponibles sur le marché local via des pêches commerciales à échelle humaine?
N’avons-nous pas une responsabilité de nourrir notre population avec des aliments de proximité, sains et accessibles avant de prioriser ces mêmes aliments pour des appâts?
Les communautés autochtones ont accès à des quotas communautaires. Pourrait-on s’en inspirer pour que les communautés côtières puissent acquérir des quotas communautaires elles aussi?
Nous croyons qu’il est essentiel que nos décideurs :
- Comprennent mieux l’écosystème marin dans son ensemble;
- Respectent les périodes de pontes du maquereau, n’autorisent pas les rejets en mer.
- Ne répètent pas les erreurs du passé comme une pêche au filet maillant pour le maquereau en favorisant la promotion de méthodes de pêches plus durables;
- Priorisent l’alimentation de proximité et les besoins de ses populations côtières avant les appâts et les impératifs commerciaux, particulièrement lorsque la ressource est limitée.
Ghislain Collin (Regroupement des pêcheurs pélagiques professionnels du sud de la Gaspésie) Contacter l'auteur de la pétition