Pétition unitaire Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE)
Monsieur Trublion |
/ #3336 Socialement plus juste que les prépas deviennent payantes ?2013-12-17 19:39B. Ramanantsoa : « Si les prépas et le reste du supérieur étaient payants, cela ne serait-il pas plus juste socialement ? » Bernard Ramanantsoa, directeur général du groupe HEC © HEC Paris « Je serais inquiet que l'on cherche à démobiliser les professeurs de CPGE, car ils sont un exemple à beaucoup d'égards », estime Bernard Ramanantsoa, directeur général d'HEC, dans une interview à AEF, le 13 décembre 2013. « Si nous n'avons plus les moyens de payer les professeurs de prépa au même niveau qu'avant, il faut l'assumer jusqu'au bout et admettre que nous n'aurons plus la capacité de maintenir un enseignement supérieur compétitif. » Interpellé sur les résultats de Pisa et l'inéquité potentielle de l'allocation des ressources publiques, il reconnaît que « cette France à deux vitesses est un vrai problème », mais rappelle : « Quand l'ascenceur est en panne, on ne résout rien en supprimant l'étage du haut. » Il s'interroge aussi sur le choix de la France pour la gratuité des études : « Si les prépas, comme d'ailleurs le reste du supérieur, étaient payants, cela ne serait-il pas plus juste socialement ? » AEF : Le projet de réforme du mode de rémunération des professeurs de CPGE a fait réagir la CGE et la Cdefi, inquiètes des conséquences sur le « modèle grande école » (AEF n°190866). Comment avez-vous perçu ce débat ? Bernard Ramanantsoa : Avec pas mal d'incompréhension sur les objectifs exacts de cette réforme. Le ministre a démenti qu'il s'agissait de financer les professeurs de ZEP avec ce que l'on prendrait aux professeurs de CPGE, ce qui m'a rassuré ; j'aurais trouvé surprenant de déshabiller Pierre pour habiller Paul, et d'opposer ces deux populations. Faut-il y voir une attaque contre les prépas elles-mêmes ? Certes, on ne parle là officiellement que du traitement des professeurs, pas de remettre en question la filière, mais il est quand même difficile d'opérer une séparation nette. Les prépas, c'est tout un système, toute une pédagogie. On ne peut pas les imaginer sans les professeurs qui en font ce qu'elles sont. Il ne faut pas oublier non plus que Vincent Peillon s'était un jour prononcé pour une « suppression des grandes écoles » : je pense que cela a joué dans l'angoisse ressentie par les profs de CPGE. Enfin, quand on rapproche cette actualité de la réforme de la taxe d'apprentissage qui va impacter les budgets des grandes écoles, on peut se poser des questions. AEF : Estimez-vous que le salaire actuel des professeurs de CPGE (1) soit totalement justifié, au regard de la situation globale des enseignants dans ce pays ? Bernard Ramanantsoa : Je ne pense absolument pas qu'ils ne méritent pas leur rémunération. Même le traitement le plus élevé est loin d'égaler le traitement d'un cadre dirigeant du secteur privé. Or, ces professeurs ont des diplômes qui leur permettraient de gagner beaucoup plus. Dans l'industrie, les Normaliens ont une « valeur de marché » élevée. On n'est pas « obligé » de les décourager de devenir enseignant ! Je serais d'ailleurs inquiet que l'on cherche à les démobiliser, car ils sont un exemple à beaucoup d'égards : ils sont très investis dans leur mission, ce sont d'excellents pédagogues, et ils créent un lien fort avec leurs élèves. AEF : Comprenez-vous cependant que l'allocation des ressources publiques étant très contrainte aujourd'hui, le gouvernement estime que la différence importante de traitement entre ces professeurs-là et les autres, dont on pourrait également louer l' « investissement dans leur mission », n'est plus tenable ? Bernard Ramanantsoa : Je pense qu'il s'agit d'un choix politique. Si nous n'avons plus les moyens de payer les professeurs de prépa au même niveau qu'avant, il faut l'assumer jusqu'au bout et admettre que nous n'aurons plus la capacité de maintenir un enseignement supérieur compétitif. Mon propos est simplement de dire que si l'on fait ce choix-là, on prend de gros risques pour l'avenir et pour le rayonnement de la France. On ne peut pas laisser croire que le système tournera comme avant, en moins cher. Quant à la différence avec le reste des professeurs, je pense que ce sont les autres professeurs qu'il faudrait augmenter. L'égalité ne doit jamais être du nivellement par le bas. Je lis un peu partout que nos professeurs du secondaire sont parmi les moins bien payés en Europe, et je m'inquiète aussi des taux d'encadrement que j'observe, notamment en maternelle. La question de fond est : la Nation est-elle prête à investir au niveau des pays les plus compétitifs pour son secteur éducatif ? Ce que je veux dire, simplement, c'est qu'il faut faire des choix informés et que nous prenons de gros risques si nous désinvestissons dans ce secteur. Selon les chiffres qui circulent, un étudiant de CPGE coûte 15 000 euros. A-t-on une idée de ce que coûte un étudiant de première ou deuxième année à Oxford, ou dans les grandes institutions universitaires mondiales ? Font-ils mieux que nous ? Mon intuition, c'est que nous ne sommes pas plus coûteux qu'eux. Au contraire ! Il faut préserver ce qui marche et qui fait notre force, même si la filière CPGE-grandes écoles n'est pas la seule filière qui marche, j'insiste là-dessus. Il y en a d'autres, il y a de très bonnes universités, des filières comme la médecine ou le droit, etc., et c'est très bien qu'il y en ait plusieurs car il y a plusieurs profils d'élèves. AEF : Quels sont vos critères pour juger que la filière prépa-grande école « marche » ? Bernard Ramanantsoa : C'est une filière très formatrice, pluridisciplinaire, qui place bien ses étudiants, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas négligeable aujourd'hui, en particulier à l'international. Elle participe donc au rayonnement du pays à l'étranger. De façon générale, un certain nombre des étudiants qui y sont passés font de belles carrières. C'est une filière qui attire des étudiants rapides, qui apprennent à travailler de façon organisée, et où la pédagogie est importante. Les professeurs y sont bien formés et sélectionnés, par les inspecteurs généraux et les proviseurs. Ils sont aussi « challengés » régulièrement, évoluent d'une année sur l'autre en fonction de leurs résultats. AEF : Les résultats de Pisa 2012 montrent que la France excelle à former d'un côté, une petite élite, et de l'autre, des jeunes en échec scolaire, de plus en plus nombreux. On continue pourtant à consacrer les moyens les plus importants à la filière qui accueille déjà le plus de jeunes favorisés. N'y a-t-il pas maldonne ? Bernard Ramanantsoa : Cette France à deux vitesses est en effet un vrai problème. Mais on n'est pas obligé d'en conclure qu'il faut baisser le niveau du haut ! Selon la formule, « quand l'ascenceur est en panne, on ne résout rien en supprimant l'étage du haut ». Il faut faire des efforts pour remonter ce qui est plus bas. Nous avons collectivement baissé les bras pour démontrer l'importance de l'école. Nous vivons une époque où ceux qui continuent de croire en l'école, qui s'y investissent affectivement, s'en sortent, et ceux qui n'y croient plus, décrochent. Il y a une autre question : quel est le mode de financement optimal de l'enseignement supérieur ? Je ne suis pas sûr que la gratuité, qui est le choix que nous avons fait en France, ne soit pas une aide cachée aux familles favorisées. Je m'interroge : si les prépas, comme d'ailleurs le reste de l'enseignement supérieur, étaient payants, cela ne serait-il pas plus juste socialement ? Je n'ai pas la réponse. AEF : La composition sociale des CPGE a un effet direct sur celle de votre propre école qui, en plus, recrute au sein d'un vivier de lycées de plus en plus réduit : plus de 50 % de la promotion 2013 d'HEC, en 1re année, vient de 7 lycées, tous parisiens. 79 % viennent de 15 lycées. Le directeur que vous êtes depuis 18 ans s'inquiète-t-il de cette concentration ? Bernard Ramanantsoa : D'abord, je précise que ces chiffres ne disent rien de la provenance géographique des élèves eux-mêmes. C'est ça qui m'intéresse vraiment, et j'ai demandé une note interne là-dessus car ce sont des données - le lycée d'origine - que nous ne demandons pas à nos élèves lors du concours. Ensuite, le phénomène de la concentration existe, c'est vrai. Mais d'une part, on ne peut pas dire que les prépas, même dans les grands lycées, fassent de l'élitisme social. Il y a 30 % de boursiers au lycée du Parc à Lyon, par exemple. D'autre part, je note que ce phénomène s'est amplifié avec l'apparition des classements de lycées dans la presse. Le succès appelle le succès, il y a un mouvement amplificateur. Dans quelle mesure faut-il le regretter ? AEF : Les professeurs des CPGE qui envoient le plus d'étudiants à HEC sont souvent aussi concepteurs d'épreuves et entretiennent des liens de proximité avec les grandes écoles. N'y a-t-il pas là un risque de délit d'initiés ? Bernard Ramanantsoa : Non, aucun des « pilotes d'épreuves » n'est professeur de CPGE HEC. Nous faisons très attention à ce qu'un prof de CPGE ne puisse pas donner un sujet de concours à ses élèves. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a des prépas qui organisent la connaissance des concours et des écoles : elles envoient leurs élèves assister aux oraux dès la fin de la première année, ainsi que leurs profs. Mais le terme de « délit d'initié » est exagérément provoquant. Il y a des professeurs qui analysent les règles du jeu, oui, qui y préparent leurs élèves, et qui dédramatisent la situation du concours. Beaucoup viennent de province, et nousmêmes allons visiter les prépas en province. AEF : HEC compte 13 % de boursiers d'État dans son programme grande école. Pouvez-vous, et voulez-vous, faire mieux ? Bernard Ramanantsoa : Il y a 4 ou 5 ans, lorsque nous avons lancé, avec la Fondation HEC, l'opération de gratuité des études pour tous les boursiers d'État, nous étions à 5 %. Nous avons donc gagné 8 points sur la période, ce qui n'est pas mal, même s'il faut prendre en considération la redéfinition du périmètre des bourses entre-temps. HEC donne aussi des bourses sur critères sociaux à 20 % de ses élèves. Il faut évidemment aller plus loin, élargir notre base de recrutement, en ayant davantage de candidats boursiers. Pour cela, il faut lutter contre l'auto-sélection (un élève de prépa HEC sur deux ne se présente pas à HEC, je trouve ça dommage). Mais je ne vois pas d'autre dispositif possible que celui de la gratuité des études et la communication pour changer les choses. Par exemple, je ne mettrai pas de quotas de boursiers. D'une manière plus globale, j'estime que le système est perfectible mais que ses défauts, que tout le monde lui reconnaît, ne méritent pas qu'on le mette à bas. Il y va, sans exagération, de la compétitivité de la France et de son rayonnement. |
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