Alerte! Les restaurateurs francais du patrimoine sont en danger!


Visiteur

/ #30 Re: Témoignage de colibri : une mouche qui tombe

2016-03-19 11:50

#19: Julie Catalo-Manuel -  

  Egalement conservatrice-restauratrice d'oeuvres sculptées diplômée, habilitée à travailler pour les museés de France, j'exerce depuis treize ans, essentiellement avec les MH. C'était un souhait : traiter les objets ruraux, provinciaux, avec la même exigence éthique et technique que les oeuvres de musées, comme pour tout bien culturel qui a traversé souvent des siècles et qui devra nous survivre, en demeurant des objets d'études (matérielle, éthnographie, culturelle, historique, économique, etc.). C'est à dire en produisant, aussi, autant que possible, d'étayés rapports d'étude et d'intervention pour chaque, quel qu'il soit, sans distinction entre les plus sublimes et les plus vernaculaires. La remise en valeur des biens passe aussi par là, et nos formations nous donnent le bagage nécessaire pour fournir ces dossiers, collectes d'archives, synthèses et miroir de nos interventions.

Hélas, tant de temps de travail non rémunéré, tant d'argent perdu - sans parler des sommes englouties dans l'aménagement de l'atelier (avec jubilation et pleine d'illusions à l'époque, quitte à tout y investir) - pour aller faire des devis gratuits bien loin .. gratuits, c'est-à-dire aux frais du prestataires comme le veut d'indéboulonnable usage (au moins trois prestataires consultés, à la même enseigne, pour chaque objet, rappelons-le, c'est assez fréquent), pour des communes juste curieuses, ou indécises et qui finissent par oublier le dossier; tant d'enthousiasmes noyés, tant d'incompréhension dans les petits villages (sur nos taux horaires comme sur la minutie de nos intervention - en tout cas au moment de choisir les devis quand, en lice, sont ceux d'autres types de restaurateurs, moins chers, moins éloignés, peut-être techniquement compétents, mais à dimension unique) , et même parfois, ai-je cru constater, les positions border-line de quelques responsables locaux...

À la clef, au-delà des aspects pécuniaires (radiée finalement d'un RSA versé une seule fois en un an puis interrompu - en raison du système de déclaration inadapté aux libéraux, qui a engendré des recommandations contradictoires de la CAF et des réponses de ma part apparemment inadaptées, en suivant pourtant lesdites instructions  !), au-delà des aspects matériels, donc, cela engendre une telle déstabilisation, une perte de confiance abyssale, l'isolement, on s'approche du bore-out, ce pendant du burn-out, ce sentiment qui peut fleureter  - c'est peu dire - avec la dépression, dû à un emploi sans exploitation des compétences réelles, ou à ne rien faire du tout.
À terme, à travailler (sur des échafaudages pour les chantiers qui le nécessitent ? ou sous nos combinaisons, masques à solvants, et avec loupe binoculaire ?) jusqu'à plus de 80 ans, une retraite évaluée à ce jour à si peu (cent-vingt euros par mois ?) : l'indigence à l'horizon. 
Il faut une profonde capacité à se resourcer sans arrêt, à lutter contre la gangrène émotionnelle, ce moral d'acier évoqué ailleurs ici, pour ne pas sombrer quand tout cela dure. 

Oui, nous faisons un métier merveilleux, je rejoins Mme Catalo-Manuel et je ne le conterdirai jamais, et c'est sans doute ce qui nous fait tenir au-delà du raisonnable et du réaliste, mais les coulisses en sont plus qu'austères : elles nous rongent. C'est un suprenant mariage.

 

MERCI DONC, INFINIMENT MERCI, A TOUS LES SIGNATAIRES, et aux initiateurs et soutiens du mouvement.