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            J'ai commencé à enseigner le français et l'histoire en septembre 2001. Nous sommes en juin 2018. Je suis passé de mon établissement bruxellois en discrimination positive à mon athénée préservé du Brabant Wallon, avec une parenthèse de trois années de détachement pédagogique... détachement que je reprendrai lors de cette rentrée d'abord par envie de relever de nouveaux défis professionnels mais aussi par ras-le-bol non pas de mon métier, non pas de mes élèves, mais de ce que l'on fait de l'enseignement.            

Je pensais être relativement isolé, trop critique de ce que le gouvernement décidait en matière de "modernisation" de l'enseignement. Les écrits de Christian Laval, de Nico Hirtt, les études de l'APED et plus récemment les réflexions du groupe 1Pact ne semblaient pas émouvoir les foules... mais voilà qu'en ce 20 juin 2018, je poste un simple billet d'humeur pour dénoncer non pas l'attitude face au travail de mes élèves, mais bien un ras-le-bol général de voir mon métier démoli depuis des années par le politique et là, je fais le buzz comme disent mes étudiants. Plus de 2000 "likes", plus de 1700 partages, des centaines de commentaires et témoignages qui vont dans le même sens.           

Je ne me ferai jamais porte parole officiel de mes collègues; ce serait bien présomptueux. Je pense simplement que certaines et certains se retrouveront dans ce qui va suivre. Je vous pose la question, madame la Ministre: quel enseignement voulez-vous? Je pose également la question à ceux qui vous ont précédée durant ces trente dernières années: quel enseignement vouliez-vous, vous qui avez préparé le terrain de ce que nous vivons aujourd'hui?            

Vous avez réussi à faire croire à de jeunes adolescents que passage automatique signifie réussite. La simplification abusive des conditions de passage, les recours possibles rendus quasiment systématiques, ... tout est fait pour satisfaire vos envies de briller avec un taux élevé de réussite à annoncer dans la presse.            

Vous avez fait comme unique condition de passage du premier degré de l'enseignement secondaire vers le second la réussite à 50% de vos épreuves communes, les fameux CE1D qui sont décriés chaque année depuis leur mise en place.           

Vous avez mis en route une réforme des titres requis qui a privé de travail des enseignants en place depuis des années. Renvoyé des professeurs de morale parfois diplômés de philosophie devant des formateurs qui devaient leur apprendre ce qu'est la neutralité.           

Vous faites appel à nombre d'organismes privés, payés à prix d'or et pourtant sans aucune connaissance autre que statistique de l'enseignement, pour pondre des recommandations qui n'ont de logiques (et encore) que dans le monde de l'entreprise.         Vous faites appel à des "spécialistes" pour orchestrer les changements, sans prendre aucunement en compte l'avis des acteurs de terrain qui sont pourtant, pour la majorité, titulaires de titres officiels en pédagogie et vivent quotidiennement l'enseignement .            Vous nous assommez de multiples tâches administratives dignes d'un roman de Kafka.            Vous suivez aveuglément les recommandations d'organismes tels que l'OCDE et sa fameuse enquête PISA... Combien de reportages, d'essais, d'études démontrent les limites de cette enquête et la subjectivité de ces organismes?            

Vous avez fait entrer le langage de l'entreprise dans les établissements scolaires, remplacé le savoir et les savoirs faire par les compétences, les termes de rentabilité, de préparation au marché du travail.              

La liste est longue encore de vos modernisations vers l'"excellence"...            

Il y a eu consultation d'un échantillon de professeurs, me direz-vous? Soyons réalistes une minute: cet échantillon a-t-il eu le moindre effet de contrepoids face aux conclusions de boites privées financées par l'argent public? Argent que bien des directions et enseignants auraient aimé voir investi sur le terrain pour le bien de la collectivité?             Mes élèves ne sont pas des statistiques, madame la Ministre. Ils ne sont pas du bétail destiné au monde du travail tandis qu'une infime minorité sera seule à profiter d'un enseignement de qualité que vous refuserez bientôt au plus grand nombre. Ne soyez pas naïve, madame la Ministre: ces mêmes personnes qui vous conseillent se garderont toujours de côté des établissements d'élite bien traditionnels pour y former leurs propres enfants.           

Mes élèves ne sont pas des consommateurs abrutis que je dois satisfaire par la réussite sans condition: je revendique leur droit à l'échec, élément parfois indispensable à un apprentissage de qualité.             

Je revendique leur droit à prendre le temps d'apprendre, à se déconnecter de l'information immédiate.           

Je revendique mon droit à la liberté pédagogique, refuse que l'on m'impose un manuel à suivre à la lettre.           

Je n'en peux plus de voir des collègues de qualité démolis par certains inspecteurs, conseillers pédagogiques et autres "spécialistes".            

Je n'en peux plus de voir le privé dicter sa loi dans l'organisation de l'enseignement public.            

Je n'en peux plus de devoir justifier auprès des élèves et des parents les résultats d'une politique pédagogique qui passe à côté de l'essentiel: l'intérêt et la formation des élèves.            Je n'en peux plus de constater que nous sommes systématiquement ignorés dans nos revendications pédagogiques.           

Je n'en peux plus de lire dans la presse que nos enseignants sont incompétents, que nos élèves sont nuls, ...             

A chaque absurdité administrative ou pédagogique, de nouveaux passionnés quittent la profession. Ils tiennent depuis des années et un jour, ils craquent.             

Il n'est pas étonnant que notre métier souffre de pénurie, madame la Ministre. Et contrairement à ce que je lis souvent dans de nombreux commentaires, ce n'est pas la faute du manque de respect de nos élèves, mais plutôt de celui de nos décideurs qui rendent vide de sens notre métier.            

Je terminerai quand même en vous interpellant, madame la Ministre. Quand vous rendrez-vous compte que vous disposez d'une immense majorité d'enseignants dont la voix compte? Quand prendrez-vous enfin la mesure de l'appel qui vous est lancé par le monde de l'enseignement? Enfin, quand chercherez vous des pistes de solutions au sein même de votre communauté éducative dont l'objectif principal est d'assurer un enseignement de qualité?            

Je profite de l'occasion pour vous rappeler le fondement même de notre serment de Socrate: «Je m’engage à mettre toutes mes forces et toute ma compétence au service de l’éducation de chacun des élèves qui me sera confié.» Trouverez-vous chez vos conseillers privés un seul qui n'aura que cette unique préoccupation en remettant ses conclusions? J'en doute fort...             

Vous ne gagnerez bientôt qu'une chose si la voie actuelle se maintient, madame la Ministre: je n'enseignerai plus mais pour reprendre le terme de certains des formateurs que vous nous envoyez, je fonctionnerai. Et de ce système sortira une majorité de jeunes diplômés qui ne réfléchira plus, mais fonctionnera. Et consommera sans réflexion. Quel bel exemple d'excellence!  


Benjamin Vandevandel    Contacter l'auteur de la pétition