Lettre ouverte des personnels et des usagers de l'ENS de Lyon

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Un élève indifférent

#28

2016-05-12 22:50

Une chose est de regretter l'envoi de policiers pour déloger une poignée d'étudiants, qui n'étaient guère une menace. Une autre est de soutenir ceux-ci dans le flou de leurs revendications. La pétition mélange trop commodément les deux.

Que l'on veuille avoir des débats plus ouverts à l'ens, soit. Il est clair qu'elle ne brille pas par son esprit d'innovation. Mais j'espère ne pas être le seul à être mal à l'aise avec cette volonté de "politiser" (sic) l'établissement. Ce que j'ai pu écouter en F01, et lire sur tous les autres murs de l'école me semble relever d'opinions fort peu interrogées, de dualismes convenus et de bien peu de réflexion critique : une insidieuse mais forte doxa qui s'élevait d'un entre-soi, et une inquiétante propension à se porter garant d'un universalisme bien commode.
En somme, je tiens simplement à souligner que ce mouvement se donne sa propre rationalité, et n'a rien d'honnête sur le plan intellectuel. L'impression en était assez malsaine, puisque pestant contre la fermeture socio-intellectuelle de l'école, ces élèves, sous-couvert de débats et d'une "ouverture sociale" bien relative, ne faisaient que reproduire d'une part une fermeture sociale différente mais tout aussi redoutable, d'autre part un huis-clos intellectuel, celles de logiques politiques communes aux occupants dont les fondements a priori restaient ininterrogées, quand les opinions trop éloignées ne paraissaient pas dignes de compréhension. Si l'idée fondamentale, celle de favoriser l'échange critique à l'ens, est peu contestable, la critique n'a pas à être sélective, et doit se nourrir de la neutralité axiologique indispensable à un travail intellectuel honnête.

Je suis en fait sincèrement inquiet du fait que ces élèves qui se pensent comme progressistes soient in fine des exemples éminents de la paresse intellectuelle générale, de l'étonnante incapacité de tout le monde à penser les difficultés présentes autrement que par des catégories de pensées anciennes, voire carrément conservatrices, en tout cas caduques.

Réponses


Visiteur

#40 Re: Un élève qui n'est pas indifféré

2016-05-13 15:59:07

#28: Un élève indifférent -  

J'apprécie le commentaire du cuistre, on notera particulièrement le crescendo jusqu'à la conclusion en apothéose pour ce qui est de la condescendance : 

"Je suis en fait sincèrement inquiet du fait que ces élèves qui se pensent comme progressistes soient in fine des exemples éminents de la paresse intellectuelle générale, de l'étonnante incapacité de tout le monde à penser les difficultés présentes autrement que par des catégories de pensées anciennes, voire carrément conservatrices, en tout cas caduques." 

 

Entendez ainsi " Tout le monde, sauf moi, auteur de ce message, évidemment". 

 

Vous avez beau jeu par ailleurs de venir asséner votre blabla a posteriori, en anonyme et dans le ciel des idées plutôt que d'avoir plongé les mains dans la saleté pour les salir un peu. La pureté est le privilège de l'immaculé ( si ce n'est de l'émasculé). 

Un élève qui déteste l'indifférence

#42 Re:

2016-05-13 19:09:41

#28: Un élève indifférent -  

Il est vrai qu'une occupation de salle, qui aura eu le mérite de vous donner la voix en bas d'une pétition et d'entamer une phase minimale de dialogue, ne produit pas nécessairement dans ses slogans, affiches ou réflexions (menées en deux semaines...) une archéologie et une généalogie critique des idées propres à chaque personne qui y a pris part, bien qu'elle y participe grandement.

Vous imposez vos propres normes, elles-mêmes tout à fait discutables :"se nourrir de la neutralité axiologique indispensable à un travail honnête", voilà une thèse de Max Weber, qui, si je ne m'abuse, a été longuement (et de façon féconde) critiquée, ajournée, discutée, opposée tout au long du XXe siècle. Même ce bon vieux Kant, qui ne semble pas être trop malhonnête intellectuellement, ne souscrirait pas à ce principe. Il est évident qu'une occupation de salle n'a aucune neutralité axiologique, et c'en est même là le principe. Je ne comprends donc pas l'objection : ne voyez-vous pas une différence entre une enquête sociologique, des statistiques économiques, une thèse psychologique qui se voudrait neutre axiologiquement, et un mouvement politique qui tend précisément à tenter de modifier l'axiologie latente qui est en place ?

De même, vous utilisez la catégorie de "progressistes" : cette catégorie est extrêmement chargée politiquement, et relève d'un manichéisme à peu près aussi opérant que gauche/droite. Il y a les conservateurs, et les progressistes : un progressiste, c'est quoi ? Quelqu'un qui croit au progrès ? Mais de quoi ? Ce mot est né en France sous la IIIe République, donc la "paresse intellectuelle générale" et les "catégories de pensée anciennes", franchement, vous auriez mieux fait d'y penser un peu plus avant. La catégorie même de progrès est en crise dès le XIXe, et les critiques d'une telle notion comme étant absolument dévastatrice pour la réflexion sont légion dans l'entre-deux guerres. En termes de "dualisme" convenus, je pense qu'on ne fait pas mieux.

Ne parlons même pas de "l'universalisme" que vous prétendez nous assigner : un peu de théorie post-coloniale et de lectures féministes suffisent à jeter plus qu'un simple soupçon sur un tel mot (discussions largement menées dans la F001, ne vous en déplaise).

L'ouverture sociale est toujorus relative, vous avez tout à fait raison : elle se fait à partir d'un point de vue situé, et tente de comprendre comment s'ouvrir à d'autres que soi-même, en comprenant les mécanismes de domination, les ruptures de classes, de genre, de sexe, de race, qui peuvent s'opérer et nuire à une rencontre qui se porte pourtant garante d'une réflexion ouverte. Seulement l'ouverture sociale ne se décrète pas, elle se construit : et c'est bien ce qui fut tenté en F001, en tous cas de manière semble-t-il un peu plus efficace que votre commentaire.

Quelle est donc la sélectivité de la critique dont vous parlez ? Il est clair qu'une critique ne critique pas chaque point du monde en son entier, mais qu'elle sélectionne des thèmes qui semblent particulièrement influents, en tous cas devant recevoir une critique. Et, certes, peut-être, certains dans cette salle sont nourris d'une critique permanente des réflexes paternalistes, de la décridibilsation de toute forme de lutte aux noms de catégories qui masquent des intérêts de pouvoir, des peurs, des angoisses ou des questionnements mais qui ont des effets de pouvoir certains. Par exemple, arguer de "l'honnêteté intellectuelle" d'un groupe tout à fait changeant et variable.

Sinon, les revendications sont en cours de rédaction, et ce genre de travail prend beaucoup de temps. Il est en cours, et vous en serez vite informés. A partir de là, nous pourrons discuter de choses un peu plus concrète, et votre jugement de critique littéraire à l'emporte-pièce gagnera peut-être en consistance.

J'espère avoir fait preuve d'une certaine honnêteté intellectuelle en vous rappelant l'inanité des catégories que vous utilisez, en contraste avec votre assurance de détenir l'Esprit Objectif. Si vous le possédez, tous les hégéliens du monde vous sauront gré de vous manifester auprès d'eux.

La neutralité axiologique brandie en slogan, c'est un peu comme la liberté d'expression en ce moment, ou bien encore le droit de manifester que nous confère si gentiment la police.

Sur ce, bonne soirée, et au plaisir de vous entendre défendre votre neutralité axiologique qui a semble-t-il fait de vous un élève pas si indifférent que cela.